Interview Actualitté (version complète)

Récemment, Antoine Oury du site Actualitté a eu la gentillesse de m’interviewer pour réaliser un article mis en ligne depuis. Même si dans les grandes lignes l’article reflète ce que j’ai pu dire, il y a pas mal de détails passés à la trappe voire quelques phrases hors-contexte qui pourraient prêter à confusion. Si le coeur vous en dit, voici l’interview complète telle qu’elle a été envoyée :

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Pourquoi distribuer votre production de manière gratuite via le Web ? Les fichiers téléchargeables sont-ils protégés par un système de verrou numérique ?

Je considère le web comme une gigantesque bibliothèque publique plutôt qu’un gigantesque couloir de grande surface. Cela me vient de mon premier album : comme pas mal d’ouvrages, à sa sortie il est resté 2 ou 3 semaines en librairie, puis plus aucune visibilité, plus rien. J’ai pris conscience que dans cette situation, le web peut être une opportunité d’attirer plus de gens sur une durée plus longue. J’ai donc décidé depuis de mettre tous mes travaux sur le web, avec un accès 24/7 pour des années. Pour qu’un livre soit lu, il faut d’abord qu’il soit là.

Il n’y aura aucun verrou numérique sur mes fichiers. Quel intérêt à part ennuyer mes lecteurs avec ça ? Mon but est de rendre visible mes travaux, pas de les verrouiller. Verrouiller n’a aucun sens, à mon niveau ce serait même un moyen de ne pas toucher de nouveaux lecteurs ! Et puis de toute façon, une simple capture d’écran permet de dupliquer le contenu. Et ces verrous ne tiennent pas le coup en plus, c’est de la poudre aux yeux, du fric gâché. Les DRM sont une grande idiotie.

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Facebook et Twitter ne suffisent plus à faire la promotion virale du livre ?

Ces deux réseaux sont ceux qui m’ont le plus servi pour la promotion de mes travaux. C’est assez puissant en fait, et encore je n’ai pas un réseau énorme. Mais ce n’est pas suffisant : je vis à Hong Kong et je vois bien que sans aucune présence « physique » en France (en convention, en soirée, etc) il y a comme un mur très difficile à franchir pour toucher plus de gens.

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Parallèlement, vous avez monté un projet de crowdfunding (bravo pour l’objectif, pulvérisé !) pour financer la version papier du même ouvrage : ne craigniez-vous pas une « cannibalisation » du numérique par le papier, et un désintérêt des lecteurs pour le projet papier une fois la version numérique lue ?

Je n’ai aucune crainte à ce sujet. Je dois avouer que la relation avec mes lecteurs via le support papier est une expérience privilégiée. D’abord ils me montrent une confiance qui n’arrête pas de me surprendre. Il y a des gens qui ne me connaissent pas personnellement, qui sont parfois dans la dèche, et qui m’aident quand même à financer une version papier. De mon côté, je propose des dédicaces mais aussi des portraits personnalisés de contributeurs les plus généreux. Certains me demandent très gentiment d’apparaître avec leur conjoint par exemple, je trouve ça très chaleureux, très sympa. Bref l’édition papier à mon humble niveau permet d’accentuer un rapport amical avec des lecteurs-fans. Ce qui crée ce rapport n’est pas l’objet-livre en lui-même (car en effet dans ce cas un fichier numérique suffirait), c’est ce qu’il a y autour. J’ai la naïveté de croire que le support papier a encore de l’avenir en France, non pas pour son côté « tactile-qui-sent-bon » mais pour tout ce qui est de l’ordre de la convivialité, paradoxalement quelque chose qui n’est ni « matériel » ni quantifiable.

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Ce titre fait-il référence aux albums Marvel des années 70-80 ? Avec la mention « Stan Lee présente… » je crois…

Oui, tout à fait. C’est en lisant un Strange Spécial Origines que mon adolescence a commencé. Ce titre de Spécial Origines ne pouvait pas mieux convenir.

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Aviez-vous pensé à une telle diffusion de l’album avant même sa conception ?

Non. J’ai commencé à faire les planches par pur amusement en novembre 2012. Je n’ai rien planifié à l’avance. J’ai partagé sur le web, des gens s’y sont retrouvés, et voilà.

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Pourquoi limiter le nombre d’exemplaires de la bande dessinée papier à 300 ?

J’habite à 10 000 kilomètres de la France, je n’y retourne que très rarement, je doute de pouvoir mettre les pieds dans des conventions et je ne suis qu’un tout petit auteur, pas une structure. Il me fallait donc un ouvrage léger, pas trop cher à envoyer par la poste, et une quantité que je puisse écouler par la suite. Cela donne donc un fascicule à édition limitée, un petit tirage, mais après tout pourquoi pas. Encore une fois, c’est la relation avec le lecteur qui est inestimable.

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D’autres épisodes sont-ils prévus ? Distribués de la même manière (pensez-vous que ce mode de financement puisse être pérenne ?)

Vu l’engouement, je pense ajouter quelques pages à cette BD. Evidemment, si le financement actuel me permet de produire un numéro 2 dans la foulée ce serait la fête du slip. Par contre je ne pense pas refaire systématiquement du crowdfunding dans l’avenir. Le crowdfunding n’est pas une rémunération pour l’artiste, et le but est de faire fructifier les ouvrages après le financement, bref de tirer un bénéfice, pas de vivre sur le dos des mécènes qui ont de toute façon un budget limité. Il ne faut pas être dépendant du crowdfunding, ce serait une voie de garage. C’est une manière de démarrer quelque chose, pas un système en soi.

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Depuis combien d’années faites-vous de la BD ? Quel âge avez-vous ?

J’ai 38 ans. Ma première BD « professionnelle » date de 2008. Mais bon, faire de la BD est une envie qui remonte à mon enfance, j’ai choisi le chemin le moins direct.

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Avez-vous toujours distribué vos albums sur le Web ?

J’ai toujours mis mes albums en lecture gratuite sur le web avec un lien permettant de commander la version papier.

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Vivez-vous de vos métiers de dessinateur et de scénariste ?

Absolument pas. Mais cela n’est pas lié avec la mise en ligne gratuite de mes travaux. D’abord je pense ne pas avoir assez de talent, ensuite la situation sociale des auteurs est effroyable et vivre convenablement de son art devient mission impossible, et enfin il y a mon statut d’expatrié qui complexifie par mal de choses quand il s’agit d’entrer dans le monde de l’édition française. D’un autre côté, le silence radio des éditeurs m’oblige à trouver d’autres voies et finalement je vis des choses que je n’imaginais pas. Je contrôle toutes les étapes avec mes moyens, et la direction artistique est celle que je souhaite à 100%. Pas d’éditeurs comme co-auteurs, pas de marketeux pour décider de la couverture de mon bouquin, etc. On pourrait comparer mon activité à celle d’une baraque à frite mais finalement je vis peut-être les fondamentaux du métier : faire de son mieux et être au contact direct des lecteurs.

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